mardi 27 mars 2012



« Il ne reste à notre philosophie que d’entreprendre la prospection du monde actuel. […] Il ne s’agit plus de parler de l’espace et de la lumière, mais de faire parler l’espace et la lumière qui sont là. »

Maurice Merleau-Ponty, L’Œil et l’Esprit (1964), pp. 58-59.

mercredi 2 novembre 2011

« L’image vraie du passé passe en un éclair. On ne peut retenir le passé que dans une image qui surgit et s’évanouit pour toujours à l’instant même où elle s’offre à la connaissance. »

Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », V.

samedi 8 octobre 2011


samedi 17 septembre 2011

« Mon rapport à la réalité n'est pas neutre. Il est entièrement pétri [...] d'images. Si certains lieux m'attirent, c'est qu'ils me semblent correspondre à mon imaginaire, comme si la réalité n'était que la projection extérieure d'une angoisse qui est en moi et qui fait que je me sens heureux là où précisément les autres se sentent mal à l'aise. Toutes ces images de la ville sont fantasmatiques. Elles sont tissées de rêves et d’angoisses, de désirs et de répulsions que je ne parviens pas à traduire en clair. […] En laissant soupçonner certains aspects de cet imaginaire, je tente de prendre l’autre au piège de ma propre fascination, en espérant qu’il y succombera lui-même.
[…] La ville et la vie – un décor derrière lequel il n'y a rien sinon moi-même qui ne cesse d'errer à travers ces images qui s'envolent comme des oiseaux blancs ou qui tombent en poussière dès que je veux les saisir. Pourtant elles reviennent à chaque instant et se superposent à la réalité, de telle sorte que je ne saurai jamais si ce que je décris existe ou si je l'ai inventé. »

Jean-Michel Palmier, Retour à Berlin (1989).

samedi 28 mai 2011


dimanche 22 mai 2011

Prolongements oniriques

« [...] pour distinguer sérieusement deux lieux réels, ne faut-il pas d'abord chercher ce qui les distingue imaginairement, se demander de quels prolongements oniriques ils sont capables. [...] la mise à nu des essences urbaines constitue plutôt une lecture. Les lieux ne se refusent pas à la gloire de l'apparaître [...] ils aiment redoubler, en quelques foyers, le sens de leur expressivité. En conséquence notre travail se rapprochera tantôt d'une poétique tantôt d'une phénoménologie de l'espace urbain. [...] La ville s'offre comme une totalité que nous n'abordons que par des perspectives. Nous n'avons pas à opposer la perspective de la ville et la ville elle-même. Il est bien entendu que la ville se livre à travers la perspective, tout comme ce regard sur la table nous donne la table elle-même et non un fragment de table auquel je devrais ajouter d'autres fragments. Mais il faut que nous emboîtions les perspectives les unes aux autres, selon un ordre réussi. Il est donc des emboîtements plus ou moins parfaits, en un mot, des trajets qui, parfois, nous livrent, avec bonheur, la meilleure prise de la ville [...]. »

Pierre Sansot, Poétique de la ville (1973).

jeudi 12 mai 2011






« Le promeneur est un expert de l'attention flottante, un amoureux des apparences. Sans but précis, il laisse venir à lui, au gré du hasard, des images — détails, fragments, vision panoramique — qui l'entrainent à la rêverie, donnent à sa pensée des résonances imprévues. Il rêve et pense en même temps, dans un tressage des deux, qui n'est pas l'un des moindres charmes de la promenade. [...] la vraie promenade est solitaire. Non en tant que parenthèse de solitude dans une existence ancrée dans la société, mais en tant que prise de conscience d'un état de solitude chronique, irrémédiable. »

Chantal Thomas, Comment supporter sa liberté (1998).


samedi 5 février 2011

jeudi 27 janvier 2011

A Reflection




« And I remember, as if it were today the marvels themselves. What thrilled me so deeply was an ordinary suburban street, filled with lights and shadows, which transfigured it. Several trees stood about, and there was in the foreground a puddle reflecting invisible house façades and a piece of the sky. Then a breeze moved the shadows, and the façades with the sky below began to waver. The trembling upper world in the dirty puddle—this image has never left me. »
[« Ce qui m'avait si profondément remué était une rue ordinaire de banlieue avec ses lumières et ses ombres qui la transfiguraient. Il y avait quelques arbres et, au premier plan, une flaque dans laquelle se reflétaient les façades des maisons invisibles ainsi qu'un morceau de ciel. C'est alors que le souffle du vent fit bouger les ombres, et les façades avec le ciel au-dessous commencèrent à onduler. Le monde d'en haut tremblant dans la flaque sale : cette image ne m'a plus jamais quitté. »]

Siegfried Kracauer, Theory of Film. The Redemption of Physical Reality (1960).

samedi 22 janvier 2011

Réalité, Plénitude, Vacuité

« Die Raumbilder sind die Träume der Gesellschaft. Wo immer die Hieroglyphe irgendeines Raumbildes entziffert ist, dort bietet sich der Grund der sozialen Wirklichkeit dar. »

[« Les figures spatiales sont les rêves de la société. Partout où le hiéroglyphe d'une figure spatiale, quelle qu'elle soit, est déchiffré, là se dévoile le fondement de la réalité sociale. »]

Siegfried Kracauer, « Über Arbeitsnachweise — Konstruktion eines Raumes. » (Frankfurter Zeitung, 17/06/1930).


« [...] Conformément au mouvement même de la métaphysique occidentale, pour laquelle le centre est le lieu de la vérité, le centre de nos villes est toujours plein : lieu marqué, c'est en lui que se rassemblent et se condensent les valeurs de la civilisation : la spiritualité (avec les églises), le pouvoir (avec les bureaux), l'argent (avec les banques), la marchandise (avec les magasins), la parole (avec les agoras, cafés et promenades). Aller dans le centre, c'est rencontrer la "vérité" sociale, c'est participer à la plénitude superbe de la "réalité". »

Roland Barthes, L'Empire des signes (1970).


« Les lieux vides et flous que j'explorais m'offraient le surplus d'inconnu que me refusait désormais la fiction, musique d'ambiance moulinée par la télévision et les magazines, pâte grise égalisant les surfaces, arrondissant les angles et bouchant les fissures. J'étais revenu au réel pour trouver du merveilleux, alors que c'est précisément cette quête qui m'en avait, à l'origine, éloigné. Mais le monde s'était, depuis, considérablement agrandi, et dès qu'on quittait les itinéraires balisés où il présentait sa face usuelle, acceptable, tout s'obscurcissait. C'était dans ces endroits où la réalité excéderait le texte que je voulais me tenir le plus longtemps possible, regardant les phrases gigoter en tous sens comme des poissons fraîchement capturés. »

Philippe Vasset, Un livre blanc (2007).

mardi 13 avril 2010




« L'espace de notre vie n’est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ? On sent confusément des fissures, des hiatus, des points de friction, on a parfois la vague impression que ça se coince quelque part, ou que ça éclate, ou que ça se cogne. Nous cherchons rarement à en savoir davantage et le plus souvent nous passons d’un endroit à l’autre, d’un espace à l’autre sans songer à mesurer, à prendre en charge, à prendre en compte ces laps d’espace. Le problème n’est pas d’inventer l’espace, encore moins de le ré-inventer (trop de gens bien intentionnés sont là aujourd’hui pour penser notre environnement...), mais de l’interroger, ou, plus simplement encore, de le lire ; car ce que nous appelons quotidienneté n’est pas évidence, mais opacité : une forme de cécité, une manière d’anesthésie. »

Georges Perec, Espèces d'espaces (1974)